"Comme dans la vision épicurienne et lucrécienne de l'univers, la chute libre des atomes dans le vide est déviée et infléchie par le clinamen, cette imperceptible oblicité de leur trajectoire qui les pousse à s'agréger entre eux, à s'accrocher l'un à l'autre, de même - si on peut oser le rapprochement - l'utopie est le clinamen du réel. Elle favorise des formations, des rapprochements, d'originales constellations. A la fatalité de la chute libre d'une réalité égarée, elle oppose une liberté. Elle joue du hasard en déroutant les prévisions. Rompant avec un destin aveugle, elle oriente vers les "destinées", à la mesure de nos passions et de nos désirs […] C'est en ce sens que l'on a toujours raison de penser que ces vues de l'esprit auront finalement raison des vues écourtées, des bévues et des oublis, de la bêtise."
René Scherer, Utopies Nomades Presses du Réel
Car voici la nouvelle vision prophétique de la fin du Vieux Monde. Que disparaissent le continent d'inégalités entre producteurs et consommateurs. Cette première matrice de l'asservissement des êtres qui peuplent nos sociétés, jugée si naturelle par les chiens de garde, et qui ravage ce qui reste d'espoir. Que s'éclipsent ces prêcheurs fatalistes du désastre, ces empereurs globaux et qu'enfin naissent les externalités positives de la contribution créatrice.
L’économie de la contribution se caractérise principalement par trois traits :
1) les acteurs économiques n’y sont plus séparés en producteurs d’un côté et consommateurs de l’autre ;
2) la valeur produite par les contributeurs n’y est pas intégralement monétarisable – elle constitue une externalité positive ;
3) c’est une économie des existences (productrice de savoir-vivre) autant qu’une économie des subsistances.
L’économie de la contribution prend place, en tant qu’économie générale, aux côtés de l’économie de marché, de l’économie publique et de l’économie du don : à la régulation par les prix, par la décision publique et par le principe de réciprocité, l’économie de la contribution substitue une régulation par l’interaction, quantitative et qualitative, des participations à l’intérieur d’une activité. Cependant, l’économie de la contribution n’exclue pas les autres manières de produire et d’échanger, mais se conjugue avec elles, accepte les règles du jeu de l’échange monétaire, se préoccupe des choix d’investissement et particulièrement de ceux qui conduisent à la production de biens publics, et fait du don une modalité possible de la participation.
Le contributeur n’est ni le consommateur, ni le contribuable, ni le codonateur. Là où l’économie de marché s’intéresse au producteur sous l’angle de la maximisation du profit, et au consommateur sous l’angle de l’ophélimité ou de la fonction d’utilité, là où l’économie publique s’occupe des fonctions de redistribution et de la prise en charge des défaillances du marché (market failures), là où l’économie du don apparaît encastrée dans une relation circulaire entre don et contre-don (donner-recevoir-rendre), l’économie de la contribution fait surgir la figure alternative du contributeur qui articule participation choisie à l’activité, création de valeur sociétale et intérêt au désintéressement.
La mobilisation des ressources s’effectue en tenant compte de quatre caractéristiques principales :
1) Le modèle productif, qui doit composer avec la finitude des ressources naturelles et le caractère cumulatif des ressources liées à l’activité cognitive. Cette dimension se traduit par une redéfinition du système de production et par l’encastrement de ce système de production dans un milieu psycho-techno-social.
2) Le rapport entre la fonction de contribution et la refonte des solidarités, au-delà du solidarisme assurantiel de l’Etat providence. Il importe ici d’articuler protection et création dans une solidarité dynamique, imposant ipso facto une révision du système de redistribution.
3) L’exigence d’établir un nouvel ordre de grandeur. Ce dernier pose la question de la mesure, et il suppose la mise au point d’une nouvelle base de calcul et de nouvelles normes comptables.
4) La territorialisation de la fonction de contribution qui implique une redéfinition des effets d’agglomération et une réévaluation des politiques publiques.
L’économie de la contribution repose sur un éco-système général de la production et de la circulation des richesses qui peut être décrite par une organologie générale. Elle est à la source de la création collective et d’une mesure nouvelle de ses ordres de grandeur, à une époque où les technologies numériques se traduisent par une intensification des échanges informationnels.
Economie de la contribution (fonction et mesure).
La fonction de contribution est à l’économie de la contribution ce que les fonctions de production, d’offre et de demande incarnent, en tant qu’instruments, pour la théorie néoclassique : elle représente la manière dont les ressources sont allouées entre différents usages possibles, entre différentes activités, entre différents participants. Mais la nature de la fonction de contribution nous éloigne de l’économisme qui entoure les déterminations auto-révélatrices des courbes de préférence du consommateur et des courbes d’offre des producteurs de la théorie économique mainstream.
Pour les mêmes raisons, elle ne se confond pas avec les processus d’ajustement des quantités et des prix sur les différents marchés, et ne se réduit donc pas aux conditions de formation d’un équilibre général supposé – avant d’être un modèle calculable – des décisions privées.
La conjugaison en son sein d’activités marchandes et non marchandes la rend également irréductible à la seule conversion en un équivalent monétaire qui confère sa forme marchande à la dépense de travail du côté de la production et à la mesure du désir du côté de la consommation. La fonction de contribution nous introduit au contraire dans la construction d’une économie générale, où la mobilisation des ressources et des services productifs s’effectue en fonction d’objectifs décidés de manière délibérative, à l’aune donc du développement sociétal. Elle fait référence à la fois à une dimension microéconomique, en tant que modalité d’action des participants dans les organisations, et à une dimension macroéconomique, en tant que principe de politique économique orientée vers la création collective et la valeur sociétale, et partant, en tant que condition de bouclage du circuit économique.
Les orientations micro-économiques de la fonction de contribution permettent d’enrichir l’analyse économique, en mettant en relief les liens avec l’innovation, la création d’activités nouvelles et les externalités
Économie de la contribution et internet.
D’essence hyperconsumériste, le concept d’économie créative, appuyé sur les travaux de John Howkins, doit être dépassé par celui (plus proche de ce qui a été appelé le « capitalisme cognitif ») de sociétés de contribution et de territoires contributifs fondés sur les technologies culturelles collaboratives. Si internet rend possible l’économie dite contributive – typique du logiciel libre –, c’est parce qu’il est un milieu technique tel que les destinataires sont mis en principe en position de destinateurs : il est dialogique. Le Web (2.0 ou 3.0) participe donc à une économie de la contribution en tant qu’il se constitue :
1) d’une infrastructure : ici, les systèmes de partage et de publication en ligne de connaissances (CMS, wikis) ;
2) de mécanismes de désirs : dans le système industriel classique, le désir moteur est celui de consommation – qui cependant se dégrade et se décompose tendanciellement et inéluctablement en pulsions –, tandis que dans le cas du Web 2.0, le désir s’agence autour de créations personnelles et de leur mise en ligne sur des espaces partagés (YouTube, Flickr, MySpace, Wikis en général) ;
3) de technologies numériques qui permettent et outillent l’évolution du modèle économique (de même que l’essor du tourisme fût rendu possible par les progrès des technologies du transport ; de même les technologies du Web permettent une appropriation des contenus en lecture/écriture).
Mais le succès très rapide d’internet ne sera véritablement un succès économique (au double sens du terme) que s’il fait l’objet d’une politique industrielle publique, au-delà des dynamiques spectaculaires issues des nouvelles entreprises industrielles apparues dans ce milieu contributif, que dominent actuellement moteurs de recherche et réseaux sociaux.
1) les acteurs économiques n’y sont plus séparés en producteurs d’un côté et consommateurs de l’autre ;
2) la valeur produite par les contributeurs n’y est pas intégralement monétarisable – elle constitue une externalité positive ;
3) c’est une économie des existences (productrice de savoir-vivre) autant qu’une économie des subsistances.
L’économie de la contribution prend place, en tant qu’économie générale, aux côtés de l’économie de marché, de l’économie publique et de l’économie du don : à la régulation par les prix, par la décision publique et par le principe de réciprocité, l’économie de la contribution substitue une régulation par l’interaction, quantitative et qualitative, des participations à l’intérieur d’une activité. Cependant, l’économie de la contribution n’exclue pas les autres manières de produire et d’échanger, mais se conjugue avec elles, accepte les règles du jeu de l’échange monétaire, se préoccupe des choix d’investissement et particulièrement de ceux qui conduisent à la production de biens publics, et fait du don une modalité possible de la participation.
Le contributeur n’est ni le consommateur, ni le contribuable, ni le codonateur. Là où l’économie de marché s’intéresse au producteur sous l’angle de la maximisation du profit, et au consommateur sous l’angle de l’ophélimité ou de la fonction d’utilité, là où l’économie publique s’occupe des fonctions de redistribution et de la prise en charge des défaillances du marché (market failures), là où l’économie du don apparaît encastrée dans une relation circulaire entre don et contre-don (donner-recevoir-rendre), l’économie de la contribution fait surgir la figure alternative du contributeur qui articule participation choisie à l’activité, création de valeur sociétale et intérêt au désintéressement.
La mobilisation des ressources s’effectue en tenant compte de quatre caractéristiques principales :
1) Le modèle productif, qui doit composer avec la finitude des ressources naturelles et le caractère cumulatif des ressources liées à l’activité cognitive. Cette dimension se traduit par une redéfinition du système de production et par l’encastrement de ce système de production dans un milieu psycho-techno-social.
2) Le rapport entre la fonction de contribution et la refonte des solidarités, au-delà du solidarisme assurantiel de l’Etat providence. Il importe ici d’articuler protection et création dans une solidarité dynamique, imposant ipso facto une révision du système de redistribution.
3) L’exigence d’établir un nouvel ordre de grandeur. Ce dernier pose la question de la mesure, et il suppose la mise au point d’une nouvelle base de calcul et de nouvelles normes comptables.
4) La territorialisation de la fonction de contribution qui implique une redéfinition des effets d’agglomération et une réévaluation des politiques publiques.
L’économie de la contribution repose sur un éco-système général de la production et de la circulation des richesses qui peut être décrite par une organologie générale. Elle est à la source de la création collective et d’une mesure nouvelle de ses ordres de grandeur, à une époque où les technologies numériques se traduisent par une intensification des échanges informationnels.
Economie de la contribution (fonction et mesure).
La fonction de contribution est à l’économie de la contribution ce que les fonctions de production, d’offre et de demande incarnent, en tant qu’instruments, pour la théorie néoclassique : elle représente la manière dont les ressources sont allouées entre différents usages possibles, entre différentes activités, entre différents participants. Mais la nature de la fonction de contribution nous éloigne de l’économisme qui entoure les déterminations auto-révélatrices des courbes de préférence du consommateur et des courbes d’offre des producteurs de la théorie économique mainstream.
Pour les mêmes raisons, elle ne se confond pas avec les processus d’ajustement des quantités et des prix sur les différents marchés, et ne se réduit donc pas aux conditions de formation d’un équilibre général supposé – avant d’être un modèle calculable – des décisions privées.
La conjugaison en son sein d’activités marchandes et non marchandes la rend également irréductible à la seule conversion en un équivalent monétaire qui confère sa forme marchande à la dépense de travail du côté de la production et à la mesure du désir du côté de la consommation. La fonction de contribution nous introduit au contraire dans la construction d’une économie générale, où la mobilisation des ressources et des services productifs s’effectue en fonction d’objectifs décidés de manière délibérative, à l’aune donc du développement sociétal. Elle fait référence à la fois à une dimension microéconomique, en tant que modalité d’action des participants dans les organisations, et à une dimension macroéconomique, en tant que principe de politique économique orientée vers la création collective et la valeur sociétale, et partant, en tant que condition de bouclage du circuit économique.
Les orientations micro-économiques de la fonction de contribution permettent d’enrichir l’analyse économique, en mettant en relief les liens avec l’innovation, la création d’activités nouvelles et les externalités
Économie de la contribution et internet.
D’essence hyperconsumériste, le concept d’économie créative, appuyé sur les travaux de John Howkins, doit être dépassé par celui (plus proche de ce qui a été appelé le « capitalisme cognitif ») de sociétés de contribution et de territoires contributifs fondés sur les technologies culturelles collaboratives. Si internet rend possible l’économie dite contributive – typique du logiciel libre –, c’est parce qu’il est un milieu technique tel que les destinataires sont mis en principe en position de destinateurs : il est dialogique. Le Web (2.0 ou 3.0) participe donc à une économie de la contribution en tant qu’il se constitue :
1) d’une infrastructure : ici, les systèmes de partage et de publication en ligne de connaissances (CMS, wikis) ;
2) de mécanismes de désirs : dans le système industriel classique, le désir moteur est celui de consommation – qui cependant se dégrade et se décompose tendanciellement et inéluctablement en pulsions –, tandis que dans le cas du Web 2.0, le désir s’agence autour de créations personnelles et de leur mise en ligne sur des espaces partagés (YouTube, Flickr, MySpace, Wikis en général) ;
3) de technologies numériques qui permettent et outillent l’évolution du modèle économique (de même que l’essor du tourisme fût rendu possible par les progrès des technologies du transport ; de même les technologies du Web permettent une appropriation des contenus en lecture/écriture).
Mais le succès très rapide d’internet ne sera véritablement un succès économique (au double sens du terme) que s’il fait l’objet d’une politique industrielle publique, au-delà des dynamiques spectaculaires issues des nouvelles entreprises industrielles apparues dans ce milieu contributif, que dominent actuellement moteurs de recherche et réseaux sociaux.