"Il y a beaucoup de façons de parler de la
télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la
base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre
son produit. (...) Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il
faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont
pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de
le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à
Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible"
Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1
"Les dirigeants face au changement" éditions du Huitième jour
Les hypomnémata, au sens général, sont les objets engendrés par l’hypomnesis, c’est-à-dire par l’artificialisation et l’extériorisation technique de la mémoire. Les hypomnémata
sont les supports artificiels de la mémoire sous toutes leurs formes :
de l’os incisé préhistorique au lecteur MP3, en passant par l’écriture
de la Bible, l’imprimerie, la photographie, etc.
Les hypomnémata, au sens strict, sont des
techniques spécifiquement conçues pour permettre la production et la
transmission de la mémoire, ce sont des supports extériorisés de mémoire
qui permettent d’élargir notre mémoire nerveuse. Toute individuationi
est indissociable de ces supports de mémoire extériorisés. La
télévision, la radio, internet, en tant que mnémo-technologies ; sont de
nouvelles formes d’hypomnémata qui appellent de nouvelles pratiques.
Comprendre l’hypomnèse c’est comprendre que la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux mais entre eux, dans les artefacts.
Hypomnemata et écriture de soi. Michel Foucault, réfléchissant aux hypomnemata, compris comme supports de mémoire[1],
les pensait comme écriture de soi, comme une modalité de constitution
de soi. Sans ces hypomnemata, le risque est grand de sombrer dans
l’agitation de l’espriti, c’est à dire dans une instabilité de l’attentioni,
qui empêche l’esprit de se constituer en propre. C’est ce que nous
retrouvons dans le zapping d’aujourd’hui. « L’écriture des hypomnemata,
écrit Foucault, s’oppose à cet éparpillement en fixant des éléments
acquis et en constituant en quelque sorte “du passé’’, vers lequel il
est toujours possible de faire retour et retraite »[2].
"La télévision a une sorte de monopole de fait
sur la formation des cerveaux d'une partie très importante de la
population. Or, en mettant l'accent sur les faits divers, en remplissant
ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on écarte les
informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer
ces droits démocratiques."
Pierre Bourdieu - 1930-2002 - Sur la télévision - 1996, page 18
Définition Ars Industrialis d'une industrie de programme :
"Les institutions de programmes que sont la famille et l’école ont désormais pour concurrentes les industries de programmes que sont les industries culturelles.
Si on peut qualifier l’école d’institution de
programme c’est qu’elle a en effet pour fonction de faire adopter des
« programmes », des conduites, des savoir-faire et des savoir-vivre.
Ceci demande bien sûr de former l’attentioni
des élèves. L’école « de Jules Ferry » fut, de ce point de vue, un
dispositif, fondé sur le livre, de formation de l’attention
(rationnelle), et au-delà de la « majorité ».
Les industries de programmes, en tant que bras
armés de la télécratie, ont pour but de prendre le contrôle des
programmes comportementaux qui régulent la vie des groupes sociaux, et
donc d’en dessaisir le système éducatif, pour les adapter aux besoins
immédiats du marché.
Il faut ne pas connaître d’enfant ou d’adolescent pour ne pas savoir que la télécratie est le principal ennemi de l’école."
Baby First TV, produit de Globalmediabrands
Le marketing, outil et principe directeur du capitalisme consumériste, engouffre les investissements les plus élevés des firmes et entreprises. Les cabinets en communication, ne peuvent de fait, pas se permettre de dépenser un dollar inutilement. La redirection des pulsions vers les solutions industrielles et la programmation des esprits pour la consommation exclusive définie par le principe de "destruction créatrice" doit donc se faire dès le plus jeune âge et en employant les techniques obscurantistes du marketing neuronal qui empêche le développement de l'attention (condition de la pensée) et transforme le cerveau en organe réflexe. Les conséquences de ces manœuvres, analysées sur le court terme, sont entre autres, un déficit d'attention désastreux chez les enfants les plus jeunes que l'on règle aux tranquillisants et autres ritalin, un arrêt du développement du système nerveux synaptique, une impossibilité de socialisation. Sur le long terme, les effets sont encore à découvrir dans le paysage vicié et nauséabond de la perte de la valeur esprit et de tout ce qui fait la poésie du monde. Les conditions de tout ce qui fait que "la vie vaut la peine d'être vécue" sont alors marchandées puis jetées dans la bassesse la plus matérialiste tandis que la majorité des parents modernes trouvent confortable l'idée que la télévision leur serve de nounou gratuite.
Chomsky et compagnie
"La télévision dépolitise, elle représente un danger pour la démocratie.
Danger d’autant plus grand qu’en même temps qu’ils sont soumis au
marché et à sa logique dépolitisante, ceux qui font la télévision se
prétendent les défenseurs de la démocratie, défenseurs de la démocratie
au moyen de la télé."
La stratégie du Choc, Naomi Klein
"Aujourd'hui, la condition de la politique, conçue en premier lieu comme ce qui donne leurs horizons d'universalité aux singularités, c'est de lutter contre la tendance de la "société de marché", c'est-à-dire de la télécratie, à s'imposer comme processus d'individuation de référence. Et c'est ainsi que l'on peut définir une société de marché : une société de marché est une société qui pose comme principe fondamental de son fonctionnement que l'individuation se fait par le marché, qu'il faut pour cela contrôler en totalité la transindividuation, et que l'organisation sociale requise pour concrétiser un tel fonctionnement est la télécratie.
S'il faut impérativement lutter politiquement contre une telle tendance, c'est parce que, tandis que la politique est d'abord ce qui doit prendre soin des individus dans le collectif, la fermeture de l'accès au transindividuel que provoque inévitablement le court-circuit de la transindividuation est ce qui engendre nécessairement une pathologie psychique aussi bien que sociale :
La pathologie mentale est au niveau du transindividuel ; elle apparaît lorsque la découverte du transindividuel est manquée, c'est-à-dire lorsque la charge de nature qui est dans le sujet avec l'individu ne peut rencontrer d'autres charges de nature en d'autres sujets avec lesquels elle pourrait former un monde transindividuel de significations ; la relation pathologique à autrui est celle qui manque de significations, qui se dissout dans la neutralité des choses et laisse la vie sans polarité ; l'individu se sent alors devenir une réalité insulaire ; abusivement écrasée ou faussement triomphant et dominateur, le sujet cherche à rattacher l'être individuel à un monde qui perd sa signification ; la relation transindividuelle de signification est remplacée par l'impuissante relation du sujet à des objets neutres, dont certains sont ses semblables.*
*Simondon, L'Individuation psychique et collective, op. cit., p.203"
Bernard Stiegler, La télécratie contre la démocratie, Flammarion 2006
Les dix stratégies de manipulation de masse
Sylvain
Timsit
1/ La stratégie de la distraction
Élément primordial du contrôle social,
la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public
des problèmes importants et des mutations décidées par les élites
politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions
et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est
également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux
connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de
l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la
cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des
véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance
réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour
penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »
2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions
Cette méthode est aussi appelée «
problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une «
situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin
que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui
faire accepter. Par exemple : laisser se développer la violence urbaine,
ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur
de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une
crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul
des droits sociaux et le démantèlement des services publics.
3/ La stratégie de la dégradation
Pour faire accepter une mesure
inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé »,
sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions
socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été
imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité,
flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent,
autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils
avaient été appliqués brutalement.
4/ La stratégie du différé
Une autre façon de faire accepter une
décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais
nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une
application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un
sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort
n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a
toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et
que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps
au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec
résignation lorsque le moment sera venu.
5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge
La plupart des publicités destinées au
grand public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et
un ton particulièrement infantilisants, souvent proches du débilitant,
comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé
mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un
ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme
si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité,
elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction
aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »
6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion
Faire appel à l’émotionnel est une
technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc
le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre
émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y
implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des
comportements…
7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise
Faire en sorte que le public soit
incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour
son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux
classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le
fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes
supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes
inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »
8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité
Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…
9/ Remplacer la révolte par la culpabilité
Faire croire à l’individu qu’il est seul
responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son
intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se
révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et
culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est
l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution…!
10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes
Au cours des 50 dernières années, les
progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les
connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites
dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie
appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de
l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système
en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se
connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système
détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les
individus que les individus eux-mêmes.
Les nouveaux chiens de garde, Gilles Balbastre et Yannick Kergoat